A joumra, 20

 

 

            Nuit sèche sans les belles étoiles qui n’éclairent que les avions, le plafond de nuage et les autres des autres planètes. Au pied d’un rempart hors-service, lui-même a 400 mètres d’un stadium gradiné et asphalté, car reconverti en drive-in cinéma!

            Pas de sentiment d’avancer, de faire partie d’une dérive, d’approfondir ou même de continuer à explorer. Le philosophe me répondra qu’il y a toujours des périodes de traversée du desert qui semblent—semblent seulement—infécondes.

            Pourtant, dans Prague la colorée, le continent africain nous a trouvé. De l’autre cote de la Vltava, il y a un mont qui mène à un plateau où crèche un campus et les deux stades—le désempare et le nouveau. Un campus, ça accueille en priorité les Provinciaux et les étrangers. Les étrangers sont donc d’abord assaisonnés à la sauce provinciale. J’adore la sagesse du terroir mais l’esprit de clocher m’endort. Tant qu’il ne se rue ni ne me montre du doigt ! Les lunettards donnent vie à dix batiments modernes en 1975. Une immense place longiligne les sépare en deux enfilades. Le café “himalaya” et le “bufet” servent de cafète au village. Devant, de la pelouse, pour les jongleurs de toute espèce. Nous improvisons une suite en bonds mineurs a la brésilienne. Un Tchèque se joint même à nous et loupe son dessert. En cet endroit, nous jouâmes. Nous y dinâmes. Le camps était levé quand un grand black se découpa dans le gris de l’horizon asphalté. En guise d’offrande, je tapais le ballon dans sa direction, me disant que “les blacks sont tres sensibles à la politesse oui, mais ils ne peuvent refuser un ballon de foot “! Akim le grand s’est approché de nous avec la balle en cuir. On s’est serré la patte. Il venait à notre rencontre, mais j’ai été plus impatient que lui. Match de foot pour samedi soir nous propose-t-il. Quand un Syrien se joint gaillardement à nous, nous décidons de nous retrouver le soir même, à 10 heures, pour jouer sous les projecteurs.

            Avoir rendez-vous dans une autre ville, c’est comme commencer une double-vie. Le temps est plus précieux quand il fait beau et que l’on a brusquement un programme. Le cours de la minute monte à notre bourse émotionnelle et on veut plus en profiter. Risques d’excitations et de dérapages. Presque pas de trace de fébrilite cette soirée là. Daa’vitt est piqué de curiosité quand au pays d’origine de Akim et a apprécié le court échange de politesse en arabe que j’ai eu avec le Syrien. Peut-être mon frère a-t-il regonflé son réservoir à vivre en taquinant le cuir avec des maîtres…

            C’est à pas de kangourou que nous coupons les lacets du mont Petrin. Mais l’évènement n’aura pas lieu. Les organisateurs n’ont pu trouver assez de participants pour financer l’éclairage. A sa place se tiendra un entretien triangulaire à coeur ouvert. Un vrai contact alchimique. Akim s’ouvre à nous, nous touche et nous convertit. Dadoudou était déjà convaincu aux confins africains, et je palpe pour la première fois de cet or d’une espèce fragile, cette gentillesse désarmante et désarmée. Pourtant, Akim dit des siens qu’ils sont des “doseurs”—des charmeurs-charmants? Lui, comme Justin, a une image idéalisée de la France. Il me fait comprendre que je me ferme a toute compréhension en niant inconsciemment tout “apport” des colonisateurs aux colonies. L’exploitation et la félonie des antiques comme des néo-marchands d’hommes ne doivent pas créer de culpabilité collective. Si je fouette quelqu’un ou si je ferme les yeux sur la misère qui me fait face, c’est moi le responsable. Ceux qui votent ou approuvent un bombardement sont responsables, pas ceux qui votent contre !. Si nous nous reprochons des actes qui ne sont pas les nôtres, nous serons aveugles pour juger et assumer nos défaillances propres.

            “Je suis fier de ce que les Sénégalais sont capables de résoudre pacifiquement des conflits. H’end et Ah’med nous parlaient, a Paris, du manque de “bellicosité” des Tunisiens. Y-aurait-il des peuples plus mûrs que d’autres ? En meilleurs termes avec leurs voisins, leur environnement ?

            Akim, encore un parallèle avec Justin, nous confie la détresse des Blacks en terre tchèque. Ils sont appréhendés comme des sauvages et des pestiférés. Certains Tchèques ont gobé les images d’Epinal véhiculés dans les années 30. Ce sont les jeunes qui ont voyage en Occident qui se comportent avec eux de la manière la plus naturelle. Sur un pied d’égalité.

            Moi qui suis “toubab”, je ne suis pas sur de ressentir la détresse de la personne “stigmatisée physiquement”. Je témoigne à mon tour de ma solitude moscovite. On néglige l’importance des repères multiples perdus par l’émigré, toujours exilé. Nous remarquons qu’une quasi-absence de bonnes amitiés avec des hommes nous déstabilise. Sans le respect et l’attention des femmes, il n’y aurait peut-être pas d’émigration ! C’est l’amertume qui jaillit lors de la première rencontre. Akim et Dam—un autre compère du Sénégal—sont très sévères a l’égard des Tchèques mâles.

            Dadoudou et Akim sont très vite très complices. Leurs yeux intérieurs s’accrochent. „ Moi, je n’ai jamais voyagé avant 23 ans. Toi, tu le fait a 14. Je t’estime, David !”

            Tout deux sont émus de la vie de l’autre. Sans être d’origine des savanes, je partage leur émotion ! Et mes sens—ouie, vision—s’étonnent que la pluie puisse être aussi drue aussi longtemps ! C’est le „rideau de pluie“ praguois !