Un ado, des musées

 

    Samedi 21 juillet

    Un ado découvre le monde. Il a ses propres objections, sa manière de se distraire. Il a des questions et son éthique mouvante. Il a des réflexes sociaux. Il commence à se construire un blindage relationnel d'adulte. Il pense qu'il n'a pas fait ses preuves et veut paraître posé, sérieux, responsable.

                Quelles preuves? Je n'ai que 15 ans!

      M'a-t-il empêché de dessiner, d'écrire, de dessiner(!)? J'ai abrégé quelques fois, et de nombreuses autres, j'ai continué à filer ma soie, conscient de le voir un peu languir. Dadoulos a même fait des "corvées" pendant que j'œuvrais.

    "Chui pas pareil dans un miroir. Ca fait bizarre. D'abord, chui pas grand! Alors que de l'extérieur, chui un géant!"

    Le soleil a été roi et tout nous a souri. Tout, sauf le rendez-vous avec les étudiants du continent africain. Nous avons dû jouer avec des Latinos ! Sommes-nous différents des autres touristes ? Pas trop. Si ce n'est notre matériel de jeu et de voyage qui nous rendent les jeux de plage accessibles sur la place de la vieille ville. En fait, il y a des touristes très différents, surtout dans les auberges de jeunesse. Tous ne courent pas les musées, même si tous¾nous y compris¾goûtent au pouvoir d'achat démultiplié. 

      Le premier soir, un jeune homme blond s'entraînait au milieu du dortoir à tenir en équilibre sur les mains. Il m'avait expliqué avec un sérieux enfantin qu'il s'entraînait pour une rencontre de capoeira¾cet art martial et dansé brésilien¾à Hamburg. Très sérieux, solitaire et Finlandais. "Demain, avant mon train, je passerai sur le pont Charles. Les statues parlent entre elles, si elles ne sont pas dérangées.."

    Que faire avec les autres routards? Notre imagination s'est limitée au football, qui a été très porteur, puisqu'il nous a permis de faire la connaissance de François, l'hurluberlu suisse. Sacré personnage : étudiant en littérature française et philosophie et passionné de sport. Très philosophe dans son approche de l'effort physique. Jusqu'où puis-je tenir ? Il est parti, en courant, de Genève à Paris ! 37,5 kilomètres par jour ! Il imagine des aventures physiquo-touristiques et les réalise en solitaire. Il aimerait le faire avec des compagnons mais il a compris très tôt qu'il ne fallait pas trop attendre. En Tchéquie, il se ballade à vélo, avalant les distances. Nous n'avons pas pu échanger de remarques "ethnographiques", trop occupés à partager notre fascination vis-à-vis du "processus de prise de décision" et de la stratégie en football ! Il voyage en vélo et nous à ballon ! Nous rencontrons un collègue en quelque sorte!

Dimanche 22

    Mon imagination est atrophiée en ce qui concerne la recherche de sujets à dessiner. Je voudrais m'entraîner aux portraits, si porteurs d'interrogation, mais les gens ne sont pas à ma disposition! Je n'ose pas les dévisager. Leur demander l'autorisation ? Comme pour les photos?

    Nous n'avons pas le culte de la communication! Nous ne fréquentons pas les bars ! Devrions-nous ?Nous pourrions ainsi augmenter les chances de rencontre, comme pour le stop, où l'on veut une population la plus large possible, afin que le 1% de gens sympas et solidaires grossisse ! Nous allons donc essayer de varier les endroits où boire, où manger. Où jouer ?

    Pourquoi les musées sont-ils peu accessibles ? Un certain dessèchement hétéroclite, peut-être. Et en même temps une trop grande "richesse", trop de sens, de "vécu". Une oeuvre, un objet suffisent pour faire éclore des images, des idées chez un petit groupe d'observateurs. Les trois petites salles qui sont consacrées au peintre graphiste Alphonse Mucha sont très chaleureuses et humaines. Presque comme un appartement de souvenirs. Un très beau film nous montre sa vie, en images. J'ai découvert  il y a peu¾mieux vaut tard que jamais¾, que les récits des guides¾les véritables, ceux qui parlent¾peuvent nous donner autant de plaisir que les histoires de feu de bois. Et les créations de Mucha sont évocatrices comme des histoires. Très romantiques, ses personnages nous intriguent instantanément. Leurs regards sont volontaires et pénétrants. Il y a un secret lié au quantitatif chez les artistes. Où trouvent-il cette soif pour tant "produire"? Si j'écris pendant deux heures, ou dessine une heure, je trouve que j'en ai fait beaucoup. Je dois essayer de produire plus longtemps. Je me souviens de ces jeunes Russes, qui préparaient l'examen d'entrée à l'école d'architecture et dont l'une des épreuves étaient le dessin d'une tête de plâtre. Ils le faisaient en plusieurs étapes et mettaient plus de quinze heures pour l'achever !

    Il est primordial d'entrer dans le musée en étant dispos, physiquement et moralement frais. Il est encore plus intéressant d'y entrer avec des questions personnelles, des choses qu'on y cherche. Je savais que le musée Mucha m'émouvrait par les courbes et les harmonies de ses oeuvres. Il y avait un sens vital à cette visite. Mon frère m'a accompagné. Demandez-lui ce qu'il en a pensé.